There’s no sense in going further —
it’s the edge of cultivation, »
So they said, and I believed it —
Till a voice, as bad as Conscience,
rang interminable changes
In one everlasting Whisper
day and night repeated — so:
« Something hidden. Go and find it.
Go and look behind the Ranges —
Something lost behind the Ranges.
Lost and waiting for you. Go! »
Kipling, The explorer,
Il n’y a pas de sens à aller plus loin, c’est de le bord de la civilisation. C’est ce qu’ils dirent et c’est ce que j’ai cru. Mais toujours cette voix aussi mauvaise conscience a intercepté ces dires. Dans un chuchotement éternel, nuit et jour répété: quelque chose est caché, va et trouve le. Quelque chose perdu derrière les collines. Perdu et qui vous attend. Allez!
Dans « The lost city of Z », Percy Fawcett est un homme paisible sans grande ambition. Après avoir servi son pays, il aspire au calme et à la tranquillité. La proposition de projet de partir cartographier l’Amazonie, pays encore inconnu, le laisse dubitatif, pire il voit cela comme une punition. Mais voilà que le militaire, presque à ses dépens, devient explorateur et aventurier et que cette aventure va changer sa vie.
Nicolas Bouvier, est mon écrivain voyageur préféré. J’ai lu pratiquement tous ces livres, et à chaque fois, j’ai eu un sentiment magique et métaphysique de partager ses émotions, ses déceptions, son regard sur ce monde qu’il trouve à la fois si beau et si désenchanté.
https://deambulationsterrestres.wordpress.com/2013/06/02/le-vide-et-le-plein-de-nicolas-bouvier-16082353/ https://deambulationsterrestres.wordpress.com/2011/06/16/l-usage-du-monde-de-nicolas-bouvier-11328270/ https://deambulationsterrestres.wordpress.com/2016/05/16/segarer-en-sardaigne/
Au-delà des lignes de cet écrivain voyageur, j’ai souhaité comprendre qu’est-ce qu’il l’avait guidé dans cette quête d’absolu, dans son rapport si particulier à l’écriture et dans cette drogue du voyage qui pouvait créer le manque chez lui, comprendre donc cette dépendance, que j’ai parfois moi-même en tête depuis que j’ai en particulier visité le Vietnam;
J’ai donc lu la biographie de Nicolas Bouvier, « L’œil qui écrit » de François Laut et j’y ai découvert une fragilité et une vulnérabilité de l’auteur que je ne soupçonnais pas. Les écrivains qu’on aime sont parfois comme des personnages de fictions, nos héros littéraires à nous, mais parfois donc en contradiction avec l’image de l’admiration qu’on leur porte. Comment quelqu’un qui écrit s’y bien peut avoir eu une vie si chaotique?
Je crois au voyage plus comme une respiration, un enrichissement, qu’au dépouillement ou à une quête de l’absolu. Et si j’y vois une forme de drogue, elle est sans doute très différente de Nicolas Bouvier.
J’ai appris par le voyage mais en ramenant l’expérience à moi-même, à me dire aussi que ces déambulations m’ont amenées à surtout m’ouvrir aux autres et à grandir dans ma compréhension du monde. En cela, il y a entre le voyage, dans l’écriture et le travail quelque chose d’assez similaire. Ma non capacité à me résoudre face mon insatiable curiosité, ma volonté de toujours comprendre et appréhender les choses pour me les réapproprier avec cette volonté de partager et de transmettre.
James Gray, film avec classicisme les évolutions de notre aventurier de cette jungle hostile, entre les panthères et les cannibales. Il filme, loin des loft new-yorkais, auxquels on était habitués dans Two Lovers, la quête d’un homme qui va se perdre lui même, entrainant avec tragédie son fils dans ses délires de civilisation perdue.
» J’ai des illusions, c’est exact, j’en ai beaucoup qui n’attendent que moi pour les rendre réelles. »
Ces quelques mots de Nicolas Bouvier, nous résume le biographe, font que le « voyage s’inscrit dans cet art de la vie où l’écriture est latente, où les paysages sont une paroles, où il faut regarder et écouter pour que surgisse l’absolu.
Dans sa quête de l’absolu, comme Percy Fawcett, Bouvier s’est parfois égaré. A vouloir sans doute le livre parfait, celui dont chaque écrivain rêve d’écrire en secret. Sa difficulté aussi à vivre la contraction entre « le besoin sans cesse renouvelé de l’ailleurs et la nécessité d’écrire ». « L’homme se veut nomade, l’écrivain est sédentaire: l’homme ne voyage pas toujours comme il devrait, l’écrivain n’écrit jamais comme il voudrait ».
Extralucide sur ces contemporains et sur le rôle de l’écrivain, Nicolas Bouvier ne semble pourtant pas accepter ce monde telle qu’il existe. « Les gens s’attendent à ce qu’on s’inscrive dans la société, ils vous enfoncent comme une pistache dans le nougat social. Tous vous pousse à avoir une épaisseur, mais laquelle? L’écrivain n’est pas un démiurge, au mieux un interprète..Le plus souvent un vaguemestre, il fait la poste entre les mots et les choses. »
Contradiction encore entre la volonté d’être un écrivain reconnu et sa gêne à recevoir les honneurs pour ses ouvrages. Ambiguïté du rapport au temps dans une volonté d’un perfectionnisme qui paralyse le plus brillant des écrivains de voyage. « Mon erreur c’est de vouloir écrire avant de penser » et je rajouterai aussi de trop penser avant d’écrire.
La vie de Nicolas Bouvier, c’est son œuvre et inversement: une œuvre qui ne triche pas, qui se donne entièrement, des livres d’une sincérité ravageuse sur le monde. L’écrivain ne s’est pas ménagé, il s’est aussi perdu en cours de route, moins sur les chemins de traverse que dans sa quête de lui même.
Mais c’est sans doute aussi dans ces contractions, dans cette vulnérabilité que se construisent les écrivains avec trois repères pour gardes-fous dans cette vie qu’est le voyage:
Savoir dépasser ses peurs dans la bienveillance faite à soi-même et aux autres
Apprendre à se débarrasser de ses certitudes qui paralysent au lieu d’accompagner
Exister, écrire, ici et maintenant.